Prise
de décision, cohésion des équipes, leadership, stratégie… Dans bien des
domaines, les méthodes de l’armée peuvent inspirer l’action des dirigeants. Démonstration… exécution !
Sa
devise est : «Ils s’instruisent pour vaincre.» Bienvenue à la base de Saint-Cyr
Coëtquidan, dans le Morbihan. Fondée par Napoléon il y a deux cents ans, cette
prestigieuse institution forme les officiers de l’armée de terre. Mais pas
seulement : depuis quelque temps, elle accueille aussi environ 2.000 cadres et
étudiants par an pour des stages de management. Ce qui intéresse en premier
lieu ces stagiaires en col blanc ? Le système militaire de leadership et d’engagement.
«A l’armée, on apprend à commander», rappelle le colonel Cyril Barth, directeur
de la Fondation Saint-Cyr. Mais pas d’autoritarisme borné : le cliché, véhiculé
par les films ou les récits de service militaire, a vécu. «Ici, nous tâchons de
susciter l’adhésion des troupes à un projet, poursuit le colonel. Celui de
défendre les couleurs de la France, quitte à aller risquer sa vie au Mali, par
exemple.»
Certes,
entre l’ambiance spartiate des régiments et l’univers feutré des bureaux, tout
n’est pas transposable, et il serait absurde de vouloir diriger un service
commercial comme un commando de parachutistes. Cependant, dans bien des
domaines – prise de décision, motivation des troupes, entraide –, l’armée peut
se révéler une source d’inspiration. Revue de détail.
Responsabiliser
les hommes. «Contrairement à certaines
entreprises qui traitent leurs employés comme des numéros, l’armée essaie de
responsabiliser au maximum les personnes, même en bas de l’échelle», assure le
capitaine de vaisseau Paul Massart, professeur à l’Ecole de guerre. Cela
signifie d’abord leur faire confiance. «Commander consiste notamment à
s’assurer que la mission a été remplie dans les conditions souhaitées, résume
Patrick Desjardins, directeur des cours au Collège de défense de l’Otan, à
Rome. L’officier en charge doit donc éviter au maximum d’interférer dans son
exécution.» C’est en prenant de la hauteur vis-à-vis de l’action que le chef
est efficace et crée l’adhésion de son groupe. En cherchant à se substituer à
son collaborateur, il lui enverrait un message très négatif : je ne te fais pas
confiance. Un précepte également valable en entreprise.
Ritualiser
le retour d’expérience. Connaissez-vous
le «retex» ? C’est l’acronyme de «retour d’expérien-ce». Dans l’armée, ce mode
de débriefing vient ponctuer chaque opération. Pour favoriser la cohésion, les
militaires évitent de se concentrer uniquement sur leurs lacunes. Ils discutent
des problèmes rencontrés, bien sûr, mais aussi de ce qui a fonctionné. Une
méthode utile pour progresser et pour souder les troupes. «Dans le privé,
souvent, on ne prend pas le temps d’opérer ce retour en arrière», pointe
Jean-Louis Raynaud, officier de réserve et directeur de l’«advanced management
programme» de l’Edhec, qui comporte une semaine embarquée sur un bâtiment de la
Marine nationale pour découvrir les principes du management militaire. «Du
coup, déplore-t-il, on a tendance à réinventer la roue à chaque nouveau projet,
ce qui est contre-productif et générateur de stress.» La culture du débriefing
a un autre avantage, celui d’éviter les rumeurs et les malentendus, puisque
tout est mis sur la table à chaque séance. «La franchise est une forme de
courage, assure le colonel Barth. A l’armée, on apprend à dire ce qu’on pense,
à condition d’y mettre les formes et d’articuler un discours cohérent.»
Certains cadres qui, de peur de blesser ou de se faire des ennemis, préfèrent
laisser pourrir la situation y trouveront matière à méditer.
Faire
preuve d’exemplarité. Face à un
coup dur, le chef doit s’approprier l’événement et non chercher à s’en
décharger en repassant le bébé à un adjoint. Cela requiert du courage et une
solide capacité de discernement. Lorsqu’en 2008, pendant une démonstration
militaire, un sous-officier du 3e RPIMa a tiré sur la foule après avoir chargé
par erreur son arme avec des balles réelles, le colonel chef de corps a
rapidement assumé la faute de son sergent en se déclarant publiquement
responsable du drame. Une manière de conserver son capital confiance avec le reste
de l’équipe. A défaut, en effet, il lui serait devenu impossible d’en obtenir
le maximum. «Prendre ses responsabilités devant un obstacle et faire preuve
d’exemplarité représentent des éléments de crédibilité énormes, souligne
Patrick Desjardins. Et c’est également valable dans le monde civil.»
Cultiver
la force du collectif. Dans l’armée,
travailler en équipe est la condition du succès. «En opération de guerre, un
soldat isolé est un soldat en danger de mort», rappelle le colonel Barth. Si
leurs salariés sont rarement confrontés aux périls de la mitraille, les
entreprises accordent néanmoins une importance croissante au travail
collaboratif : dans un monde de plus en plus interdépendant, lorsque chacun
tire dans sa propre direction sans tenir compte des autres, la situation
devient vite incontrôlable. Afin de développer l’esprit de corps de vos
collaborateurs, proposez-leur de participer à des défis qui ne peuvent être
relevés qu’en s’entraidant. C’est ce que fait la Fondation Saint-Cyr avec ses
stagiaires. «En participant à nos mises en situation, franchissements de
rivière ou construction de radeaux, les cadres hyperindividualistes qui
travaillaient dans leur coin prennent conscience qu’on peut aller plus loin en
groupe», déclare Romain de Bondy, directeur du centre de formation de la
Fondation.
Partager
l’information avant d’agir. Savoir
prendre des décisions en situation de crise est l’une des marques de fabrique
des militaires. Pour y arriver, ils apprennent à se poser les bonnes questions,
à anticiper les scénarios et, surtout, à recueillir l’avis d’experts en amont.
«Dans la plupart des cas, une décision militaire est le fruit d’un travail
collectif», explique le colonel Barth. Mais pas question d’organiser un grand
brainstorming désordonné. Pour se concerter, les militaires ont une méthode
bien à eux : ils alternent des phases de réflexion et des phases de
collaboration. D’abord, chacun se concentre sur sa spécialité, puis vient le
temps de l’échange d’informations. «En se focalisant sur sa mission sans se
préoccuper des autres, on est plus efficace, explique Paul Massart. Lorsque
tout le monde se retrouve pour le briefing, les pièces du puzzle vont se
compléter.»
Donner
un sens à son travail. Dans l’armée,
nul ne peut contester les décisions de sa hiérarchie sous peine de sanction.
Cela ne dispense pas les responsables de leur donner un sens, bien au
contraire. «Tout se joue en amont, explique Jean-Louis Raynaud, à l’Edhec. Il
faut prendre le temps d’expliquer à ses troupes dans quel contexte elles vont
œuvrer, le pourquoi des consignes et les objectifs visés.» Autre facteur
indispensable à la bonne exécution des ordres, le sens de l’intérêt collectif.
«Dans l’armée, la hiérarchie fait en sorte que chacun soit persuadé de jouer un
rôle dans la réalisation d’un objectif commun», confirme Jean-Louis Raynaud.
Sans les hommes de la logistique, par exemple, une offensive en plein désert
est vouée à l’échec. «Les entreprises auraient intérêt à établir un processus
de transparence rendant plus visible le rôle de chacun dans la chaîne de
valeur», poursuit Jean-Louis Raynaud. Un bon moyen, selon lui, de susciter
l’«engagement» des salariés.
Traiter
un seul objectif à la fois. On trouve de
nombreuses analogies entre la stratégie militaire et le marketing stratégique.
Pour remporter un marché, une entreprise a souvent un adversaire à battre. L’un
des principes développés dans l’armée, applicable dans le civil, est celui de
la concentration des efforts sur un objectif précis à un moment précis. Dans un
contexte de crise, les moyens manquent. Mieux vaut alors rassembler ses forces
pour atteindre une cible ou un marché bien défini plutôt que de se disperser
tous azimuts. L’objectif sera plus facilement atteint. Il s’agira ensuite de
capitaliser sur cette première victoire pour attaquer d’autres territoires ou
d’autres marchés.
Bruno Askenazi
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