vendredi 25 février 2022

Ce que les militaires peuvent enseigner aux managers

 

Prise de décision, cohésion des équipes, leadership, stratégie… Dans bien des domaines, les méthodes de l’armée peuvent inspirer l’action des dirigeants. Démonstration… exécution !

 Cet article est issu du magazine Management

 

Sa devise est : «Ils s’instruisent pour vaincre.» Bienvenue à la base de Saint-Cyr Coëtquidan, dans le Morbihan. Fondée par Napoléon il y a deux cents ans, cette prestigieuse institution forme les officiers de l’armée de terre. Mais pas seulement : depuis quelque temps, elle accueille aussi environ 2.000 cadres et étudiants par an pour des sta­ges de management. Ce qui intéresse en premier lieu ces stagiai­res en col blanc ? Le système militaire de leadership et d’enga­gement. «A l’armée, on apprend à commander», rappelle le colonel Cyril Barth, directeur de la Fondation Saint-Cyr. Mais pas d’autoritarisme borné : le cliché, véhiculé par les films ou les récits de service militaire, a vécu. «Ici, nous tâchons de susciter l’adhésion des troupes à un pro­jet, poursuit le colonel. Celui de défendre les couleurs de la France, quitte à aller risquer sa vie au Mali, par exem­ple.»

Certes, entre l’ambiance spartiate des régiments et l’univers feutré des bureaux, tout n’est pas transposable, et il serait absurde de vouloir diriger un service commercial comme un commando de parachutistes. Cependant, dans bien des domaines – prise de décision, motivation des troupes, entraide –, l’armée peut se révéler une source d’inspiration. Revue de détail.

Responsabiliser les hommes. «Contrairement à certaines entreprises qui traitent leurs employés comme des numéros, l’armée essaie de responsabiliser au maximum les personnes, même en bas de l’échelle», assure le capitaine de vaisseau Paul Massart, professeur à l’Ecole de guerre. Cela signifie d’abord leur faire confiance. «Com­mander consiste ­notamment à s’assurer que la mission a été rem­plie dans les conditions souhaitées, résume Patrick Desjardins, directeur des cours au Collège de défense de l’Otan, à Rome. L’officier en charge doit donc éviter au maximum d’interférer dans son exé­cution.» C’est en prenant de la hauteur vis-à-vis de l’action que le chef est efficace et crée l’adhésion de son groupe. En cherchant à se substituer à son collaborateur, il lui enverrait un message très négatif : je ne te fais pas confiance. Un précepte également valable en entreprise.

Ritualiser le retour d’expérience. Connaissez-vous le «retex» ? C’est l’acronyme de «retour d’expérien-ce». Dans l’armée, ce mode de débriefing vient ponctuer chaque opé­ration. Pour favoriser la cohésion, les militaires évitent de se concentrer uniquement sur leurs lacunes. Ils discutent des problèmes rencontrés, bien sûr, mais aussi de ce qui a fonc­tionné. Une méthode utile pour progresser et pour souder les trou­pes. «Dans le privé, souvent, on ne prend pas le temps d’opérer ce retour en arrière», pointe Jean-Louis Raynaud, officier de réserve et directeur de l’«advanced ma­na­ge­­ment programme» de l’Edhec, qui comporte une semaine embarquée sur un bâtiment de la Marine nationale pour découvrir les principes du management militaire. «Du coup, déplore-t-il, on a tendance à réinventer la roue à chaque nouveau projet, ce qui est contre-productif et générateur de stress.» La culture du débriefing a un autre avantage, celui d’éviter les rumeurs et les malentendus, puis­que tout est mis sur la table à cha­que séance. «La franchise est une forme de courage, assure le colonel Barth. A l’armée, on apprend à dire ce qu’on pense, à condition d’y mettre les formes et d’articuler un discours cohérent.» Certains cadres qui, de peur de blesser ou de se faire des ennemis, pré­fèrent laisser pourrir la situation y trouveront matière à méditer.

Faire preuve d’exemplarité. Face à un coup dur, le chef doit s’approprier l’événement et non chercher à s’en décharger en repassant le bébé à un adjoint. Cela requiert du courage et une solide capacité de discernement. Lors­qu’en 2008, pendant une démonstration militaire, un sous-officier du 3e RPIMa a tiré sur la foule après avoir chargé par erreur son arme avec des balles réelles, le colonel chef de corps a rapidement assumé la faute de son sergent en se déclarant publiquement responsable du drame. Une manière de conserver son capital confiance avec le reste de l’équipe. A défaut, en effet, il lui serait devenu impossible d’en obtenir le maximum. «Prendre ses responsabilités devant un obstacle et faire preuve d’exemplarité représentent des éléments de crédibilité énormes, souligne Patrick Desjardins. Et c’est également valable dans le monde civil.»

Cultiver la force du collectif. Dans l’armée, travailler en équipe est la condition du succès. «En opération de guerre, un soldat isolé est un soldat en danger de mort», rappelle le colonel Barth. Si leurs salariés sont rarement confron­tés aux périls de la mitraille, les entreprises accordent néanmoins une importance croissante au travail collaboratif : dans un monde de plus en plus interdépendant, lors­que chacun tire dans sa propre direction sans tenir compte des au­tres, la situation devient vite incontrôlable. Afin de développer l’esprit de corps de vos collaborateurs, proposez-leur de participer à des défis qui ne peuvent être relevés qu’en s’entraidant. C’est ce que fait la Fondation Saint-Cyr avec ses stagiaires. «En participant à nos mises en situation, franchissements de rivière ou construction de radeaux, les ca­dres hyperindividualistes qui travaillaient dans leur coin prennent conscience qu’on peut aller plus loin en groupe», déclare Romain de Bondy, directeur du centre de formation de la Fondation.

Partager l’information avant d’agir. Savoir prendre des décisions en situation de crise est l’une des marques de fabrique des militaires. Pour y arriver, ils apprennent à se poser les bonnes questions, à anticiper les scénarios et, surtout, à recueillir l’avis d’experts en amont. «Dans la plupart des cas, une décision militaire est le fruit d’un travail collectif», explique le colonel Barth. Mais pas question d’organiser un grand brainstorming désordonné. Pour se concerter, les militaires ont une méthode bien à eux : ils alternent des phases de réflexion et des phases de collaboration. D’abord, chacun se concentre sur sa spécialité, puis vient le temps de l’échange d’informations. «En se focalisant sur sa mission sans se préoccuper des autres, on est plus efficace, explique Paul Massart. Lorsque tout le monde se retrouve pour le briefing, les pièces du puzzle vont se compléter.»

Donner un sens à son travail. Dans l’armée, nul ne peut contester les décisions de sa hiérarchie sous peine de sanction. Cela ne dispense pas les responsables de leur donner un sens, bien au contraire. «Tout se joue en amont, explique Jean-Louis Raynaud, à l’Edhec. Il faut prendre le temps d’expliquer à ses troupes dans quel contexte elles vont œuvrer, le pourquoi des consignes et les objectifs visés.» Autre facteur indispensable à la bonne exécution des ordres, le sens de l’intérêt collectif. «Dans l’armée, la hiérarchie fait en sorte que chacun soit persuadé de jouer un rôle dans la réalisation d’un objectif commun», confirme Jean-Louis Raynaud. Sans les hommes de la logistique, par exemple, une offensive en plein désert est vouée à l’échec. «Les entreprises auraient intérêt à établir un processus de transparence rendant plus visible le rôle de chacun dans la chaîne de valeur», poursuit Jean-Louis Raynaud. Un bon moyen, selon lui, de susciter l’«engagement» des salariés.

Traiter un seul objectif à la fois. On trouve de nombreuses analogies entre la stratégie militaire et le marketing stratégique. Pour remporter un marché, une entreprise a souvent un adversaire à battre. L’un des principes développés dans l’armée, applicable dans le civil, est celui de la concentration des efforts sur un objectif précis à un moment précis. Dans un contexte de crise, les moyens manquent. Mieux vaut alors rassembler ses forces pour atteindre une cible ou un marché bien défini plutôt que de se disperser tous azimuts. L’objectif sera plus facilement atteint. Il s’agira ensuite de capitaliser sur cette première victoire pour attaquer d’autres territoires ou d’autres marchés.

Bruno Askenazi

 

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